OGM, outils de sélection et biodiversité agricole ?

Les OGM en questions

Les OGM ou les nouveaux outils de sélection réduisent-ils la biodiversité agricole ?

Entretien avec André Gallais, Professeur émérite d’AgroParisTech, membre de l’Académie d’agriculture de France et auteur de nombreux ouvrages scientifiques. Il a été responsable de programmes de génétique et d’amélioration du maïs de 1982 à 2005.

Peut-on quantifier les pertes de biodiversité en agriculture ?

A.G. : Il faut d’abord expliciter le terme même de biodiversité qui peut être de nature différente selon que l’on s’intéresse à la diversité dans l’ensemble des écosystèmes, ou aux espèces ou aux plantes que l’on va retrouver dans les champs des agriculteurs. La diversité génétique des variétés cultivées n’est qu’une partie de la biodiversité des agrosystèmes.

Une perte importante de biodiversité naturelle a eu lieu avec la domestication, quand l’homme, initialement « chasseur-cueilleur », est devenu agriculteur. Seul un nombre limité d’espèces végétales et animales seront désormais dédiées à l’alimentation des populations devenues sédentaires et grandissantes.

Ensuite, l’amélioration végétale relève d’un processus continu et est donc un ajustement génétique progressif et permanent des plantes pour apporter des réponses aux besoins de l’homme. Mais elle a été très faible jusqu’à la fin du XIXsiècle et correspond à une « simple » sélection massale qui consiste à choisir dans une population à fécondation libre les grains qui seront utilisés comme semences l’année suivante. Ces progrès ont souvent été accompagnés de conseils. Par exemple, sous le règne de Charlemagne, des consignes, retrouvées dans les actes législatifs de l’époque, recommandent aux agriculteurs de renouveler leurs semences pour avoir de meilleurs rendements !

C’est en fait dès la fin du XIXe siècle, avec la sélection de lignées chez les céréales, comme pour le blé, mais aussi avec la sélection de variétés-populations riches en teneur en sucre de la betterave, que débute un véritable gap technologique. Il sera suivi, après la deuxième guerre mondiale, par un deuxième gap, avec notamment le développement des hybrides et une concentration des unités de production des semences. Au final, dans le cas du blé, on estime que, par la domestication, 80% de la diversité génétique en intra espèce a été perdue et 30% dans le cas du maïs. Ce qui est considérable, mais ne constitue pas un obstacle majeur pour les sélectionneurs qui disposent d’une base génétique suffisante et de nouveaux outils pour augmenter la diversité génétique.

L’évaluation de perte de la biodiversité est compliquée à quantifier, surtout au niveau d’un écosystème où il faut évaluer la faune et la flore environnantes et les dispositifs mis en place ou non sur les cultures, comme la culture de conservation, autour des cultures, comme des haies ou des bandes enherbées ou fleuries… Car la biodiversité est vivante et évolutive. Le risque principal est de perdre irrémédiablement des espèces sans avoir su les conserver a minima.

L’amélioration a-t-elle été continue ou y a-t-il de vraies ruptures et des goulots d’étranglement ? en quoi ont-ils impacté la diversité génétique ?

A.G. : Les vraies ruptures qui conduisent à des goulots d’étranglement en termes de diversité génétique ne sont pas si nombreuses et sont assez récentes.

Chez le blé, le passage des populations aux lignées a induit une perte de diversité génétique d’environ 15 %. L’introduction des gènes de nanisme, adoptés par tous les sélectionneurs dans les années 65-70, a entraîné une perte de diversité génétique entre variétés. Mais, après 1970, la diversité génétique des variétés a augmenté et est devenue stable en moyenne.

Pour le colza, on pourrait citer l’adoption du « zéro » érucique comme goulot d’étranglement mais, là aussi, après quelques années, la diversité génétique des variétés a augmenté.

Pour d’autres plantes cultivées, on constate aussi une perte de diversité lors du passage de populations à des lignées ou des hybrides mais, là encore, il faut avoir une vision dans le temps et l’espace. L’utilisation récurrente et continue d’une même population de blé dans une région maintient certes une diversité génétique (celle de base de la population) mais ne constitue pas en soi une source particulière d’amélioration. Au contraire, le passage des populations aux lignées ou hybrides permet d’avoir des parcelles différenciées et d’exprimer des gènes d’adaptation spécifiques ou augmenter les rendements.

Est-ce que les OGM ou les nouveaux outils de sélection réduisent la diversité génétique ?

A.G. : Pour étudier la diversité génétique, on a besoin de marqueurs moléculaires. Car, le plus important, c’est de pouvoir déterminer le nombre et la nature des allèles aux locus marqueurs. Un indice intéressant dit de NEI permet d’analyser et d’évaluer la diversité des variétés pour des caractères intéressants. La sélection fait perdre des allèles (on élimine par exemple les gènes de sensibilité aux ravageurs, au froid…) et l’indice de NEI appliqué sur le maïs montre que des allèles rares spécifiques aux populations ont été perdus lors de l’adoption des hybrides, mais ils ont été compensés par de nouveaux allèles. La diversité génétique globale a diminué, mais la diversité génétique utile a augmenté. C’est vrai pour la plupart des plantes.

Les plantes génétiquement modifiées (les OGM) ne constituent pas un goulot d’étranglement tel que nous l’avons explicité. Car la transgénèse consiste à ajouter un gène d’intérêt dans une variété élite. La diversité génétique des variétés OGM est donc identique à la diversité des variétés non transgéniques dont elles sont issues. La transgénèse ne diminue donc pas la diversité mais elle l’augmente en ajoutant de nouveaux gènes « utiles ».

C’est le même raisonnement lorsque le sélectionneur utilise la mutagénèse induite ou dirigée avec les nouveaux outils de sélection. Un « nouvel » allèle pourra être, en une manipulation, utilisé dans différents fonds génétiques. L’introduction des gènes de nanisme chez le blé a été, dans les années 1970, un processus long et coûteux et a constitué un goulot d’étranglement. Les nouveaux outils d’amélioration pourraient permettre d’introduire ce gène rapidement et à moindre coût dans de très nombreuses variétés. Le goulot d’étranglement n’est plus la technique mais potentiellement la concentration des laboratoires ou des semenciers qui maîtrisent ces techniques.

Ce qui est essentiel actuellement, c’est de gérer au mieux l’accès et l’utilisation des ressources génétiques, notamment en préservant les systèmes de protection intellectuelle qui protègent la recherche et donc l’innovation. Car de toute façon, l’intérêt à long terme, c’est qu’une certaine diversité reste accessible à tous.