Hommage à Jacques Tempé, membre fidèle de l’AFBV

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Jacques Tempé, né près de Colmar, région à laquelle il restait très attaché, est décédé le 29 juillet 2020 à 85 ans, à Saintes.

A l’heure où les plantes génétiquement modifiées se développent partout dans le monde, mais restent un objet de débat en Europe, peu connaissent aujourd’hui la contribution majeure de Jacques à la découverte des transferts d’ADN des bactéries du genre Agrobacterium vers les plantes.

Jacques Tempé s’était passionné pour la Biochimie, alors qu’il était encore étudiant à l’Institut National Agronomique, grâce au cours et à l’écoute du Prof. Henri Heslot. Une fois son diplôme obtenu, il avait rejoint l’Ecole Polytechnique pour un contrat avec le CEA dans le but de développer de nouvelles molécules mutagènes pour modifier des semences. Ce lien entre la Biochimie et les plantes l’a rapidement amené dans l’environnement de Georges Morel à l’INRA de Versailles où il a été recruté en 1963 et a réalisé sa thèse d’état soutenue en 1982.

Georges Morel avait, dans le laboratoire de Roger Gautheret, montré que les cellules issues de tumeurs du collet de plantes (tabac) étaient immortalisées (elles étaient capables de se multiplier à la manière d’une tumeur, sans ajouts hormonaux) et qu’elles produisaient des molécules azotées spécifiques. Avec Arlette Goldmann-Ménagé et quelques autres collègues, Jacques Tempé a ainsi caractérisé biochimiquement un certain nombre d’opines (notamment l’octopine) molécules azotées que l’ADN transféré (ADN-T) à partir d’Agrobacterium fait produire à la plante à partir des substrats organiques produits par celle-ci. Ces opines sont ensuite métabolisées par la bactérie pour sa nutrition carbonée et azotée, la plante en étant incapable.

Ces résultats, combinés à ceux des travaux d’Alan Kerr en Australie, de Jeff Schell et Marc van Montagu en Belgique et Mary-Dell Chilton aux USA, allaient aboutir, par le biais de riches collaborations, à la découverte du mécanisme moléculaire à la base du cycle de vie des bactéries pathogènes du genre Agrobacterium et au « concept d’opines ». De nombreuses publications (Nature, Science, Cell, PNAS…) associant ces auteurs entre 1977 et 1982 ont abouti à la maîtrise d‘un mécanisme de transfert d’information génétique dite « recombinante » vers les plantes, grâce à la possibilité de désarmer les composantes responsables des symptômes tumoraux (hormones) et de la production des opines de l’ADN-T, et de les remplacer par une nouvelle information génétique à transférer. C’était le point de départ du développement des plantes génétiquement modifiées, dont les premières ont été générées quasi simultanément en Europe (groupes de Marc Van Montagu et Jeff Schell à Gand) et aux USA (groupe Nam Hai Chua, en collaboration avec Monsanto).

La maîtrise de la transformation des plantes a tout d’abord révolutionné les travaux effectués dans nos laboratoires et l’analyse fonctionnelle des gènes (rôles et régulations) et de leurs produits (ARN et protéines). Elle a permis le développement rapide d’une « génomique fonctionnelle » par la création de banques de mutants d’insertion, d’abord chez la plante modèle Arabidopsis, puis dans un nombre important d’espèces cultivées. Elle constitue aujourd’hui l’un des outils de base des laboratoires en biologie, génétique et génomique végétale. La puissance de cet outil a évidemment été rapidement utilisée pour l’amélioration des plantes. Les disputes qui ont suivi, concernant les risques de l’usage des plantes génétiquement modifiées et maintenant « éditées » ont certainement limité la reconnaissance qui aurait dû être attribuée aux co-découvreurs de ce processus de transfert d’ADN à partir des bactéries phytopathogènes. Mais l’histoire reconnaitra qu’il s’agissait d’une découverte considérable, avec de vastes champs d’applications. La sole de plantes de grandes cultures génétiquement modifiées était en 2018 proche de 200 Millions d’ha (ISAAA), soit 12% des surfaces cultivées mondiales et plus que la sole cultivable en Europe !

Après ce travail remarquable, conduit d’abord avec Georges Morel puis par lui-même avec son équipe à Versailles, à Orsay, puis enfin à Gif sur Yvette où il a été très impliqué dans la création de l’Institut des Sciences Végétales en 1988, il a continué à animer des recherches sur les propriétés des agrobactéries. Son équipe a également travaillé sur la dynamique des micro-organismes, dont les agrobactéries et leurs exsudats, dans la rhizosphère afin de comprendre le fonctionnement et les interactions au sein du « microbiote rhizosphérique » (travaux conduits dans son équipe et ensuite sous leurs directions par Yves Dessaux, Denis Faure et leur équipe).

Jacques Tempé aimait enseigner. Alors qu’il était Directeur de Recherches de Classe Exceptionnelle à l’INRA, il a relevé le challenge de postuler à un poste de Professeur de Pathologie végétale à l’Institut National Agronomique Paris-Grignon sur la chaire préalablement détenue par Alain Coléno, poste qu’il a obtenu en 1989. Les témoignages reçus de la part de ses étudiants à la suite de l’annonce de sa disparition sont élogieux et montrent l’impact que Jacques a eu sur leur devenir professionnel. Jacques Tempé était convaincu de la nécessité de former « par et avec » la recherche. Avec Claire Neema, actuelle Professeur de Pathologie végétale à SupAgro Montpellier, ils se sont investis dans le montage d’Unités d’Enseignement par la Recherche impliquant des mini-stages en laboratoire, la construction de projets de recherche encadrés ; et surtout de stages de longue durée, sous forme de césures de 2 fois 6 mois généralement. Jacques Tempé et Claire Neema utilisaient leurs carnets d’adresses des meilleurs laboratoires du monde entier pour y envoyer les étudiants dès leur 2ème année à l’Ecole. Cette approche sera ensuite largement copiée dans l’enseignement supérieur.

Jacques Tempé a ainsi largement contribué à la découverte du transfert de l’ADN-T par les agrobactéries et par conséquent au développement de la génétique moléculaire végétale et à celui des Plantes Génétiquement Modifiées. Il considérait ces plantes comme un formidable outil pour le développement d’une agriculture moderne, productive et durable, basée sur des pratiques respectueuses de l’environnement et capable de répondre aux besoins croissants des populations. Par ailleurs, il s’est investi dans l’enseignement par passion, passion que les étudiant-e-s lui ont bien rendu. Il croyait énormément à un projet d’Institut des Sciences et Technologies du Vivant (ISTV), initié par André Berkaloff qu’il avait rejoint à Orsay. Il devait donc être très fier de voir le développement récent de l’Université Paris-Saclay, et la place prépondérante des sciences agronomiques et végétales au sein de cette grande Université.

Nous, collègues, étudiants et amis avons donc une pensée très émue pour Jacques et sa famille qui doivent être fiers du travail accompli et de son impact aussi bien en recherche et formation, qu’en agriculture.

M. Dron, Y. Chupeau, M. Delseny, et L. Lepiniec