Interview François Mitjavile

Applications agricoles

François Mitjavile, viticulteur à Saint-Émilion :
« La lutte intégrée passe aussi par la génétique de la vigne »

Que pensez-vous de la demande sociétale du retour à la nature ?
« Il n’y a rien de moins naturel qu’un cep de vigne, c’est un produit de civilisation », disait le célèbre œnologue Émile Peynaud. En effet,  le vin  n’est pas le produit d’une nature sauvage mais le produit d’une nature civilisée. Sans l’intervention de l’homme, les raisins seraient immangeables et le vin n’aurait jamais existé. Si la nature domine l’homme, on a des vins infects ; si l’homme domine la nature en voulant tout lui imposer,  il appauvrit le potentiel de la nature et produit des vins moins intéressants.

Quelles sont les maladies de la vigne qui vous semblent les plus menaçantes ?
Ce sont toutes les grandes maladies qui ont traversé l’Atlantique quand nos chercheurs ont ramené  des pieds de vigne sauvages américains pour sauver le vignoble français: mildiou, oïdium, Black Rot et phylloxéra. Il y a aussi les maladies du bois sur lesquelles se penche la recherche. Et il y a bien sûr le virus du cour-noué ; il fait beaucoup de dégâts. La recherche était sur le point de trouver une solution avec la découverte d’un gène de résistance à ce virus issu de vinifera. Mais les opposants aux biotechnologies  ont détruit les essais entrepris par l’INRA à Colmar. Les recherches se sont donc arrêtées. C’est très regrettable. On ne peut pas nous interdire à la fois la chimie et la génétique pour protéger nos vignes. C’est pourquoi les viticulteurs bio auront encore plus besoin de bénéficier des progrès de la génétique que les viticulteurs en agriculture conventionnelle. Peuvent-ils l’entendre ?

Qu’attendez-vous des biotechnologies ?
L’utilisation de la génétique fait partie de la boîte à outils utilisée pour la lutte intégrée contre les bioagresseurs. Pour lutter contre le mildiou par exemple, il y a des perspectives merveilleuses avec l’édition de gènes. Celle-ci permettrait de nous passer de l’utilisation de produits chimiques, notamment du sulfate de cuivre, un produit polluant les sols qui pourrait être interdit. Mais l’édition de gènes ne risque-t-elle pas d’être assimilée à la transgénèse qui est mal perçue par la société ? Outre la lutte contre le cour-noué, j’attends beaucoup de l’étude du génome pour l’amélioration variétale. Par exemple, le merlot est la résultante de 4.000 ans de sélection végétale par les vignerons. La variété évolue donc de façon très lente en sélectionnant les meilleurs pieds. Mais quand la sélection est faite dès le stade de la plantule grâce à la connaissance du potentiel génétique, on va 10 fois plus vite. L’amélioration variétale de la saveur des fruits sera un progrès énorme.

Ne pensez vous pas que la règlementation des AOP risque de freiner les progrès de la génétique ?
Il faut trouver un équilibre entre tradition et modernité. Ces réglementations doivent à la fois préserver nos modes de pensée français, nos traditions, mais aussi permettre les évolutions nécessaires issues du progrès scientifique ; il ne faut pas qu’elles négligent les progrès fabuleux de la génétique qui peuvent, par exemple, améliorer la durabilité de nos productions. Si non, on sera écarté du marché par d’autres pays. Les AOP doivent nous permettre d’affirmer nos caractères grâce au progrès, pas contre le progrès.

Pensez-vous que le monde viticole soit ouvert à ces perspectives ?
Non et cela m’attriste. Car si nous avons de très grands vins aujourd’hui, c’est parce que notre pays a eu des vignerons leaders dans le progrès. Nous avons été au sommet de la connaissance dans le domaine viticole. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Maintenant, les viticulteurs ont trop souvent peur du progrès, comme c’est le cas d’une grande partie de la société française. Il faut changer d’état d’esprit, croire en l’avenir et retrouver un esprit de conquête. Interview recueilli par Gil Kressmann – Aout 2018