Informations sur les discussions en cours autour de la proposition réglementaire de la Commission européenne relative aux Nouvelles Techniques Génomiques (« NTG ») : pistes pour aboutir au Trilogue
Conscients de l’urgence pour l’agriculture européenne de pouvoir accéder rapidement aux Nouvelles Techniques Génomiques (NTG) pour accélérer l’adaptation de nos variétés face au changement climatique, l’AFBV et le WGG ont rédigé cette note pour informer les différentes parties prenantes sur les positions prise par le Conseil de l’UE et le Parlement européen (« PE ») à la suite de la proposition de réglementation des NTG de la Commission européenne publiée le 5 juillet 20231 (la « Proposition »), et émettre des propositions à même de faciliter l’obtention d’une majorité qualifiée au niveau du Conseil de l’UE suivie d’un compromis acceptable pour toutes les parties prenantes lors du Trilogue.
De façon à en faciliter la compréhension la discussion sera abordée comme suit :
- Rappel des choix qui sous-tendent la Proposition : lex specialis pour Mutagenèse ciblée et Cisgenèse (intragenèse comprise) aboutissant à un champ règlementaire encadrant quatre catégories de plantes : conventionnelles, plantes NTG-1, plantes NTG-2 et plantes GM.
- Traitement réglementaire différenciant les plantes NTG-1 versus les plantes NTG-2.
- Situation de la négociation au niveau du Conseil de l’UE : aménagements du texte apportés par les présidences espagnole et belge, et liste des principaux sujets qui continuent à être discutés au sein du Conseil de l’UE sous la présidence Hongroise. Analyse succincte des modifications apportées par le Conseil ou toujours en discussion.
- Analyse succincte des principaux amendements apportés par le Parlement européen2 le 7 février et 24 avril 2024.
- Recommandations sur la PI3 en vue du Trilogue.
- Commentaire en conclusions
1. Choix d’une lex specialis
Plutôt que de modifier la législation GM existante, cette Proposition crée une réglementation spécifique qui va s’appliquer à deux catégories de technologies incluses dans les NTG : (1) la mutagenèse ciblée et (2) la cisgénèse (qui inclut l’intragenèse).
Les plantes « NTG de catégorie 1 » (NTG-1) sont assimilées aux plantes conventionnelles et, par conséquent, sont exemptées des exigences de la législation sur les OGM, au même titre que les organismes exemptés à l’Annexe IB de la Directive 2001/18/CE.
Les plantes « NTG de catégorie 2 » (NTG-2) présentant plus de complexités que les plantes issues de la sélection conventionnelle continuent à être soumises à la législation GM mais avec des aménagements, puisqu‘il ne s’agit pas de plantes transgéniques mais de matériel génétique modifié issu du pool génétique des obtenteurs (comprenant toutes les espèces taxonomiques avec lesquelles ce matériel peut être croisé, y compris au moyen de techniques avancées telles que le sauvetage d’embryons, la polyploïdie induite et les croisements par pont).
Le principe d’une lex specialis est à ce jour acceptée par le PE et une majorité importante (17) des Etats membres (EM) du Conseil (ne constituant cependant pas une majorité qualifiée, car représentant moins de 65% de la population de l’UE).
2. Traitement réglementaire différencié des plantes NGT-1 versus NGT-2.
Le cas des plantes NTG-1 : elles seront exemptées de la législation OGM – donc elles ne seront pas soumises à autorisation, évaluation de risques, traçabilité, étiquetage, ni à une surveillance particulière.
En revanche leur statut de NTG-1 est conditionné à la satisfaction d’une procédure de vérification du statut d’équivalence :
a. Une demande (avec présentation d’informations) doit être faite auprès de l’autorité compétente de l’Etat membre (EM) concerné, et ce, avant les essais au champ, ou en l’absence d’essais en UE, auprès de l’AESA (EFSA), avant mise sur marché ;
b. Ensuite l’autorité compétente de l’EM (ou l’AESA) procède à une vérification de conformité de la plante aux critères d’équivalence de l’Annexe I (types de modifications génétiques) ;
c. Enfin, une décision sur le statut de la plante est prise au niveau de l’EM ou de l’UE, valable dans toute l’UE.
Tout matériel de reproduction des végétaux (« MRV ») (c’est-à-dire les plantes vivantes et les parties de plantes vivantes destinées à la reproduction, comme les sacs de semence par exemple), y compris destiné à des fins de sélection et à des fins scientifiques, doit être pourvu d’une étiquette portant la mention « NTG Cat 1 » et le numéro d’identification de la plante NTG-1 dont la variété est dérivée. Des informations sont accessibles dans une base de données publique.
Les plantes NTG-1 sont interdites à la culture en agriculture biologique.
Les Plantes NTG-2 : la législation OGM s’applique – elles sont donc soumises à autorisation, évaluation de risques, traçabilité, étiquetage et surveillance avec des adaptations :
a. Adaptation des exigences pour évaluation des risques, à préciser dans un acte d’exécution futur
b. Possibilité, sur justification, de déroger à la méthode de détection (si impossibilité de détecter, identifier et quantifier un produit de manière unique)
c. Dérogation possible pour la surveillance post-AMM, sur justification
d. Autorisation de renouvellement sans limite de validité (alors que limitée à 10 ans pour OGM)
e. Etiquetage facultatif du caractère considéré (trait)
f. Fixation de mesures obligatoires de coexistence par les états membres sans possibilité de opt-out
g. Incitations financières et réglementaires pour plantes NTG-2 jugés durables (voir catégories de l’Annexe III)
3. Situation de la négociation au niveau du Conseil de l’UE
Le texte, d’abord sous la présidence espagnole (2ème sem. 2023), puis belge (1er sem. 2024) et Hongroise (2ème sem 2024), est traité dans la configuration « Agriculture » du Conseil (AGRIFISH). Un premier projet de compromis a été présenté sous la présidence espagnole le 11 décembre 20234, mais n’a pas retenu de majorité qualifiée (il faut 15 pays au minimum votant en faveur, et les Etats favorables doivent représenter au moins 65% de la population de l’UE).
Sous la présidence belge un nouveau texte de compromis a été présenté et agréé le 7 février 2024, lors de la réunion du COREPER, par 17 Etats5, mais ne représentant toujours pas de majorité qualifiée. Ce texte n’est pas public mais nous avons pu en avoir une copie.
En mars 2024, la présidence belge a proposé de conditionner le statut réglementaire des plantes NTG-1 à l’absence de couverture brevet. Cette proposition n’a pas été acceptée.
Un groupe de travail continue à se réunir sous la présidence hongroise (2ème sem. 2024), qui sera suivie des présidences polonaise (1er sem. 2025) et danoise (2ème sem. 2025).
Nous commentons ci-dessous les aménagements opérés par le Conseil de l’UE dans le texte du 7 février 2024, et d’autres sujets toujours en discussion :
A. Exclusion de la tolérance aux herbicides de la Cat 1
Cette proposition ne nous semble ni nécessaire, ni souhaitable. Nous comprenons qu’elle vise à décourager le développement de variétés tolérantes aux herbicides (TH), ou à renforcer leur encadrement. Il faut savoir qu’on peut aisément obtenir des plantes et des variétés TH par mutation spontanée, mutagenèse aléatoire, TILLING ou autres techniques de sélection classique. Une solution plus logique et non-discriminatoire serait de traiter au sein de la proposition de réglementation relative au matériel végétal de reproduction (« MRV »)6 toutes les variétés TH de la même manière (exigences d’autorisation, de traçabilité, et de surveillance), quelles que soient les techniques utilisées pour les obtenir.
B. Prise en compte de la ploïdie pour critères Annexe 1
Dans le texte du Conseil du 7 février 2024 modifiant l’Annexe I il est précisé5 :
« A NGT plant is considered equivalent to conventional plants when it differs from the recipient/parental plant by no more than 20 genetic modifications per monoploid genome…”
La communauté scientifique avait déjà observé que si l’on souhaitait plafonner le nombre de modifications possibles pour une plante NTG-1, il fallait prendre en compte la ploïdie pour les espèces à génomes multiples. La modification proposée par le Conseil est en cohérence avec l’attendu 18 bis proposé par le PE7 :
« il convient que le nombre maximal de modifications génétiques autorisées en vue d’une inclusion dans les NTG de catégorie 1 soit proportionnel au nombre de génomes qu’ils contiennent. »
C. Opt-out possible pour la Cat 2 (comme pour les OGM transgéniques)
Comme les plantes de la Catégorie 2 ne remplissent pas les conditions de l’Annexe I parce qu’elles ont un ensemble de modifications génétiques plus complexes, la Commission a proposé de les soumettre au même régime réglementaire que les OGM, mais avec des aménagements. La Commission ne souhaitait pas que les opt-out soient possibles pour les NTG-2 comme dans le cas des OGM. Nous sommes d’accord avec la Commission et considérons cette possibilité comme non-souhaitable et contre-productive. En effet, si le choix du opt-out était autorisé, la possibilité pour les sélectionneurs ou les agriculteurs d’utiliser de telles plantes dans l’UE deviendrait aléatoire, comme l’avait souligné la Commission, et découragerait par conséquent leur développement et leur utilisation.
Par exemple, le blé à faible teneur en gluten, prôné par la Commission et le JRC8, ne pourrait sans doute pas voir le jour s’il devait être classé en Cat 2 avec opt-out.
D. Mention de tous les caractères résultant de la modification génétique en cas d’étiquetage volontaire des plantes de Cat 2
Mentionner tous les caractères conférés paraît raisonnable dans un souci de transparence.
E. Prise en compte de la question des brevets : fourniture de l’étude de la Commission pour fin 2025
La fourniture de l’étude est prévue par la Commission pour fin 2025. Mais les impacts de la PI liés aux NTG ne devraient pas être traités au sein de la proposition NTG de la Commission (visant le statut réglementaire de ces plantes) — des propositions de modifications touchant à la législation de PI de l’UE devraient plutôt être traitées par des actes séparés après consultation des parties prenantes et évaluation à la suite d’une étude d’impact, sans se limiter aux seuls brevets.
F. Ajout de la mise en place d’un groupe d’experts nommés par les états membres pour suivre les conséquences des brevets
Le sujet étant différent du statut réglementaire, il est approprié de le traiter en dehors de la Proposition. Si la création d’un tel groupe d’experts devait se révéler utile, il ne devrait être mis en place qu’à l’issue du retour de l’étude de la Commission, et devrait se focaliser sur les deux systèmes de PI : le brevet pour les plantes et le COV pour les variétés.
G. Préoccupations de la Roumanie9 relatives aux définitions du Protocole de Carthagène10 (en discussion)
Nous estimons que les plantes NTG-1 ne devraient pas être considérées comme des OVM (OGM) au titre du Protocole de Carthagène pour les raisons suivantes :
- si la séquence modifiée obtenue par mutagenèse ciblée ou cisgénèse existe déjà dans le pool génétique des obtenteurs, alors elle n’est pas inédite, et à ce titre n’entre pas dans la définition d’un OVM qui exige que la modification soit une « combinaison inédite » ;
- si la modification est obtenue par mutagenèse ciblée, il ne peut s’agir que (1) de substitution ou d’insertion d’au maximum 20 nucléotides ou (2) de délétions (quelles que soient leur taille), de telles modifications pouvant s’effectuer de manière naturelle par recombinaison et, donc, ne surmontant pas « les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison », comme l’exige la définition du protocole.
Pour rassurer la Roumanie et d’autres parties prenantes, il serait souhaitable d’insérer dans la Proposition un nouveau récital (14b) explicatif après le Récital 14, dont le texte reprendrait l’argumentaire ci-mentionné :
« Il est entendu les végétaux NTG de catégorie 1 ne sont pas considérés comme des organismes vivants modifiés au sens de la définition du protocole de Carthagène, soit parce qu’ils reproduisent des combinaisons génétiques déjà existantes dans le pool génétique des obtenteurs, soit parce que les modifications apportées peuvent s’effectuer de manière naturelle par recombinaison et, donc, ne surmontent pas les barrières naturelles de la physiologie de la reproduction ou de la recombinaison. »
H. Critères d’équivalence de la Cat 1 (en discussion)
Les modifications clarifiantes apportées par le texte du Conseil sont utiles (elles autorisent les insertions aléatoires et plafonnent le nombre total des modifications à 20 par génome haploïde).
Par exemple, si les insertions aléatoires (ne causant pas de disruption de gène) n’étaient pas permises au titre de l’Annexe 1, les variétés de pomme de terre ou de pommiers résistants aux maladies préconisées par le JRC11 et la Commission, présentées comme obtenues par NTG (cisgénèse), seraient considérés comme OGM, soumises à l’opt-out, et ne pourraient donc vraisemblablement pas être commercialisées dans l’UE.
I. Evaluation des risques pour Cat 1 (en discussion)
Ce sujet devrait être clos à la suite des observations de l’EFSA12 en réponse à l’avis de l’ANSES :
« Le nombre moyen de mutations spontanées par génération, selon les références citées par l’Anses, est compris entre 10−8 et 10−10, ce qui, pour un génome tel que le maïs, entraînerait 20 à 30 mutations pour chaque descendance. Ce chiffre est 1 000 à 10 000 fois plus élevé lorsque la mutagenèse aléatoire est utilisée selon les références citées par l’Anses. C’est donc scientifiquement justifié de considérer qu’une plante présentant 20 modifications ou moins par rapport à son parent pourrait en être le résultat de mutations spontanées. »
« En ce qui concerne tous les critères d’équivalence, le groupe scientifique OGM de l’AESA [EFSA] considère que la littérature scientifique disponible montre que les plantes contenant les types et le nombre de modifications génétiques utilisées comme critères d’identification des plantes NTG de catégorie 1 existent effectivement comme le résultat de mutations spontanées ou de mutagenèse aléatoire. Il est donc scientifiquement justifié de considérer ces plantes comme équivalentes aux plantes sélectionnées de manière conventionnelle. »
« [E]n ce qui concerne les risques potentiels liés aux plantes NTG, le groupe OGM de l’AESA n’a identifié aucun danger additionnel associé à l’utilisation des NTG par rapport aux techniques de sélection conventionnelles, qui incluent la mutagenèse aléatoire utilisant des agents physiques ou chimiques. »
J. Traçabilité et étiquetage pour Cat 1 (en discussion)
Les plantes conventionnelles ne sont soumises ni à une traçabilité ni à un étiquetage décrivant la méthode d’obtention ; la proposition de la Commission d’imposer un étiquetage pour tout MRV (y compris en sélection et en recherche) et une base de données accessible au public pour les plantes NTG-1 vérifiées assure la transparence pour les consommateurs et la non-utilisation en agriculture biologique.
K. Opt-out, coexistence avec le BIO (en discussion)
Les possibilités d’opt-out rendent le développement et retour sur investissement aléatoires. Il n’y a pas de problème de coexistence avec l’agriculture biologique dans le cas des OGM exemptés (qui ne sont pas soumis à étiquetage pour le MRV et pour lesquels aucune base de données exhaustive n’est disponible).
L. Actes délégués (niveau de liberté laissé à la Commission) (en discussion)
Les articles 5 §3 et 22 § 8 de la Proposition autorisent la Commission par actes délégués de modifier les critères d’équivalence de l’Annexe I ainsi que les listes de traits des végétaux NTG établies à l’Annexe III afin de les adapter au progrès scientifique et technologique. Ces délégations sont pour cinq ans, prorogeables, révocables par le Conseil ou le PE à tout moment – et donc paraissent justifiées et raisonnables.
M. Propriété Intellectuelle (en discussion)
Voir nos recommandations (Section 5 ci-dessous) sur le sujet de la PI en vue du Trilogue.
4. Observations sur les amendements7 apportés par le PE en février et avril 2024
Catégorie 1
a. Obligation de contenir un trait durable et pas de trait TH pour satisfaire critères d’équivalence
Pour satisfaire les critères d’équivalence le PE exige que la plante modifiée par NTG doive contenir au moins un trait durable (voir la liste de l’Annexe III) et pas de trait non-durable (TH).
Cet amendement ne semble pas nécessaire étant donné que la durabilité est un critère d’évaluation qui va se mesurer au niveau de l’inscription pour toutes variétés candidates à l’inscription au sein d’une espèce :
« Dans le système d’inscription français, les variétés agricoles d’une même espèce sont regroupées et évaluées dans les mêmes lieux d’essais et selon les mêmes protocoles. Cela permet d’assurer des conditions identiques d’évaluation VATE [Valeur Agronomique, Technologique et Environnementale] pour toutes les variétés en étude. En mutualisant les moyens expérimentaux des différents partenaires, le réseau d’essais officiel géré par le GEVES maximise la précision des données et par conséquent leur fiabilité, utilisées pour la décision d’inscription au Catalogue officiel ou diffusées pour pouvoir être valorisées par les filières végétales et les agriculteurs. »13
Le système français VATE des espèces agricoles « préfigure les dispositions relatives à la VSCU (Value for Sustainable Cultivation and Use) de la proposition de règlement PRM [MRV en français] publié par la Commission Européenne le 5 juillet 2023 »13. La durabilité est traitée pour toutes les variétés à l’Article 52 de la proposition de Règlementation MRV6, sans allusion à la technologie d’obtention.
Pour ce qui est du caractère de tolérance aux herbicides (TH), celui-ci est aussi prévu d’être réglementé au sein du Règlement MRV selon l’Article 47 §1(f) et §3, pour toutes variétés d’une espèce de la même manière, sans préciser la technologie utilisée pour obtenir le caractère TH. Comme dans le cas du Conseil, le PE estime que le caractère TH est incompatible avec les critères d’équivalence. Nous rappelons, comme mentionné précédemment, qu’il est relativement aisé d’obtenir des caractères TH par mutation spontanée, ainsi que par mutagenèse aléatoire et TILLING, entre autres techniques de sélection conventionnelle. Discriminer sur la base de la technologie utilisée n’a pas de sens au niveau règlementaire quand les résultats sont complètement équivalents.
b. Obligation de fournir un plan de surveillance
Une surveillance spécifique pour les variétés NTG-1 serait discriminatoire car celles-ci sont considérées comme équivalentes aux conventionnelles.
c. Etiquetage jusqu’au consommateur et traçabilité documentaire à toutes les étapes
Cette exigence, pour laquelle le PE n’a pas donné d’explication ni de justification, n’existe pas aujourd’hui pour les OGM exemptés (par exemple, le chou-fleur CMS, obtenu par fusion cellulaire, n’est soumis ni à un étiquetage pour le consommateur ni à une traçabilité). La proposition de la Commission favorisant la transparence et la non-utilisation en agriculture biologique est un bon compromis.
d. Interdiction en culture BIO ; présence fortuite légale en BIO ; rapport de la Commission pour évaluer l’interdiction en BIO prévu après 7 ans
Interdire les variétés NTG-1 à ce stade en culture BIO, tout en autorisant leur présence fortuite en BIO, et s’engager à revoir l’interdiction dans sept ans : tels sont les éléments du compromis raisonnable proposé par le PE. S’il faut mesurer l’impact éventuel de l’interdiction en BIO, la Commission prévoit de toute manière un premier rapport sur la mise en œuvre du Règlement trois ans après la première décision prise au titre de l’Article 6 ou 7 de la Proposition (voir Article 30, par. 1).
e. Modification des critères d’équivalence : au maximum 3 par séquence codante, pas de protéine chimérique ; réévaluation des critères par Commission tous les 4 ans
Cet ensemble d’amendements parait raisonnable : plutôt que de créer un plafond pour le chiffre total de modifications, le PE interdit les protéines chimères et limite à trois le nombre de modifications dans une séquence codante. Concernant la délégation accordée à la Commission pour réévaluer les critères (Art. 26 de la Proposition), elle est pour une durée de cinq ans, renouvelable, et le premier rapport relatif à la délégation doit être remis au plus tard neuf mois avant la fin de la période des cinq ans.
Catégorie 2 : conditions durcies pour dérogation aux exigences de détection et surveillance
Comme les plantes NTG-2 ne sont pas transgéniques, des conditions durcies pour dérogation paraissent injustifiées.
Catégories 1 et 2 : Modifier la Directive 98/44/CE14 pour rendre non-brevetables les plantes NTG ; rapport exigé de la Commission sur les brevets pour juin 2025
La Commission s’est engagée à fournir son étude d’ici fin 2025 comme demandé par le Conseil. Concernant l’application de la PI aux plantes issues des NTG, nous recommandons la lecture des onze propositions de l’AFBV3. Dans la section qui suit nous recommandons la mise en œuvre de quatre de ces propositions qui nous paraissent prioritaires en vue du Trilogue.
5. Recommandations de l’AFBV sur le sujet de la PI en vue du Trilogue
Sauf accord entre les parties au Trilogue, nous recommandons d’attendre les conclusions de l’étude de la Commission, prévue en 2025, avant d’entamer des initiatives de type législatif sur le sujet. Nous rappelons que tout proposition d’ordre législatif doit se conformer au cadre du « Mieux légiférer », qui implique une étude d’impact et une consultation des parties affectées.
Parmi les onze propositions relatives à la PI précédemment publiées par l’AFBV, il y en a quatre sur lesquelles la Commission pourrait agir en priorité :
- 1) Prévoir un avenant à la proposition de Règlementation sur les MRV6, rendant obligatoire la publication avec mise à jour régulière du statut des brevets pouvant couvrir une variété commercialisée dans le Catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées de l’UE15, pour les espèces relevant de cette réglementation, et pour les autres espèces dans la base de données de l’OCVV 16, faisant référence aux articles pertinents du Règlement 2100/94/CE17 et de la Directive 2002/53/CE18 du Conseil du 13 juin 2002. Plus tard, Il pourrait être envisagé si la législation est modifiée que le défaut ou l’absence de publication du statut d’un brevet couvrant une variété le rendrait non-opposable à des tiers.
L’objectif de cette proposition est de créer une plus grande transparence autour des brevets pouvant couvrir des variétés commercialement accessibles, afin de faciliter l’analyse de la liberté d’exploitation et les possibilités de négociation de licences ; les bases de données existantes (PINTO19 et ILPV20) n’étant ni exhaustives ni contraignantes.
- 2) Préciser dans un avis interprétatif couvrant la PI applicable aux plantes21 que dans l’Art. 27(c) de l’Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB)22 le terme « matériel biologique » inclut les outils NTG utilisés pour créer la plante NTG et la variété issue de celle-ci, et que les procédures réglementaires et juridiques de protection et d’inscription des variétés peuvent être réalisées dans le cadre de l’exemption prévue par cet article, alors que les brevets sont toujours en vigueur, ainsi que la production de semences qui précède la commercialisation.
L’objectif de cette proposition est de créer une plus grande certitude et clarté sur la portée de l’exemption du sélectionneur qui, pour répondre aux besoins de la sélection doit inclure le matériel génétique, les outils pour l’améliorer et le modifier, toutes les étapes réglementaires précédant la commercialisation, y compris la production de semences.
- 3) Préciser toujours dans le même avis interprétatif que dans les cas de licences obligatoires, le critère « d’intérêt économique considérable » utilisé à l’Article 12, para. 3 (b) de la Directive 98/44/CE14 ainsi que le critère « d’intérêt public » utilisé à l’Article 29 du Règlement 2100/94/CE17 sont satisfaits par l’inscription d’une variété ayant un caractère obtenu par NTG présentant un avantage économique notoire et mesurable (par ex. résistance à une maladie) ou une tolérance accrue à des facteurs environnementaux mesurable (par ex. résistance à la sécheresse), en comparaison avec d’autres variétés inscrites, et que des conditions FRAND (justes, raisonnables et non-discriminatoires) doivent s’appliquer aux licences obligatoires prévues par les articles ci-mentionnés pour les plantes obtenues par NTG (i) qui sont couvertes par un brevet ou (ii) qui sont des variétés considérées comme essentiellement dérivées d’une variété protégée par COV.
L’objectif de cette proposition est de créer des conditions prévisibles et équitables pour la commercialisation de variétés dépendantes d’un brevet et ainsi que pour les variétés NTG qui dépendent d’une variété protégée par COV qui, dans les deux cas, ont besoin d’une licence pour être commercialisées dans des conditions justes, raisonnables et non-discriminatoires, comme c’est déjà le cas pour les variétés couvertes par un brevet dans les bases de données PINTO et ILPV.
- 4) Proposer à l’Office Européen des Brevets (OEB) de confirmer formellement que la clause de « disclaimer » de la Règle 28(2) de l’OEB23 couvre non seulement la plante contenant un gène ou un caractère natif, mais également le gène et le caractère correspondant.
L’objectif de cette proposition est d’enlever toute incertitude sur la portée du disclaimer en rassurant le sélectionneur dans le cas où il travaille sur un caractère trouvé dans son patrimoine génétique qui pourrait être dépendant d’un brevet sur le même caractère obtenu à la suite de l’utilisation de techniques NTG.
Ces quatre propositions sont susceptibles d’être actées plus rapidement que d’autres, parce qu’elles sont bien comprises par les parties prenantes, trois d’entre elles ne nécessitent pas d’acte législatif et une autre pourrait s’insérer dans un texte en cours de discussion (le Règlement MRV). Elles sont nécessaires pour créer la transparence sur les variétés couvertes par un brevet, faciliter l’analyse de la liberté d’exploitation et la négociation de licences, apporter des solutions concrètes pour permettre la mise en œuvre de licences obligatoires, clarifier la portée de l’exemption du sélectionneur et rassurer les petits sélectionneurs sur les gènes natifs pouvant être présents dans leur pool génétique.
6. Commentaires en conclusion
A de nombreuses reprises depuis presque dix ans l’AFBV et le WGG ont souligné l’urgence pour l’agriculture de pouvoir utiliser les outils de l’édition génomique pour accélérer la sélection de variétés adaptées au changement climatique, aux besoins changeants des consommateurs et aux exigences de durabilité. Depuis décembre 2019, à la demande du Conseil de l’UE, la Commission s’active pour la recherche d’une solution pragmatique. A l’issue de 42 mois de travail, la Commission a émis une proposition qui peut largement convenir aux sélectionneurs et aux agriculteurs de l’UE.
Depuis la publication de la Proposition du 5 juillet 2023, un sujet important est apparu, qui risque d’empêcher certains Etats membres au sein du Conseil de l’UE et certains députés européens de soutenir la proposition de la Commission : c’est celui de la brevetabilité des plantes, et en particulier celles issues des NTG.
Tout en admettant que la propriété industrielle peut présenter des défis pour tous les acteurs, nous estimons qu’il est nécessaire d’assurer une protection essentielle de l’innovation pour les inventeurs tout en laissant l’accès aux ressources phytogénétiques pour les obtenteurs et les agriculteurs. Le 5 juillet 2023, lors de la séance de questions-réponses24 qui a suivi la publication de la proposition NGT, la Commission avait reconnu qu’il est
« important de calibrer un cadre équilibré qui favorise l’accès des agriculteurs et des obtenteurs aux techniques et au matériel brevetés, favorise la diversité des semences à des prix abordables et préserve la sélection et la production de cultures conventionnelles et biologiques non brevetées, tout en encourageant fortement l’innovation dans la sélection végétale en préservant les incitations à l’investissement, telles que les brevets. »
Nous pensons qu’une décision sur la brevetabilité, ou non, des plantes et des produits NTG au niveau de l’UE devrait se conformer aux modalités en vigueur dans l’UE en vertu de l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » du 12 mai 201625. Dans le cadre du « Mieux légiférer », tout projet de loi doit faire l’objet d’une analyse d’impact, d’une consultation des parties prenantes et du public, d’un retour d’informations et d’une évaluation ex post de la législation existante en vertu de la section III.
Tout en reconnaissant que la demande d’un rapport sur le rôle et l’impact de ces brevets est largement justifiée, il est indispensable d’attendre la réception du rapport et des éventuelles propositions qui en découleraient avant d’engager toute proposition de nature législative.
Nous sommes fermement convaincus qu’il est dans l’intérêt de l’UE que les systèmes de protection des obtentions végétales et des brevets coexistent pacifiquement dans l’intérêt de la promotion de l’innovation variétale européenne pour l’amélioration des cultures. Les quatre propositions formulées dans la section qui précède ne remettent pas en cause les deux systèmes qui coexistent, mais cherchent à satisfaire les préoccupations raisonnables de toutes les parties prenantes à court et moyen terme, et pourraient faire partie des recommandations de la Commission dans son rapport et être actées rapidement (trois ne nécessitant pas d’acte législatif et une pouvant s’insérer dans le Règlement MRV en cours de discussion), de manière à ne pas retarder l’adoption d’un compromis autour du Règlement proposé au sein du Trilogue. Idéalement il serait d’ailleurs souhaitable que la proposition sur le Règlement MRV soit adoptée en même temps que la Proposition NTG pour ne pas retarder la mise sur le marché de variétés NTG. Si l’adoption du Règlement MRV risque d’être retardée de manière significative, il faudrait dès à présent examiner les possibilités pour l’OCVV d’adopter la première recommandation de manière indépendante, si son règlement interne le lui permet.
Pour toutes les raisons exposées ci-dessus, l’AFBV et le WGG espèrent que la proposition de réglementation des NTG de la Commission sera adoptée par le Conseil de l’UE largement sous la forme déjà agréée par 17 états membres le 7 février 2024, pour pouvoir enclencher rapidement le Trilogue, en attendant le rapport de la Commission sur les brevets qui devrait être disponible au plus tard dans un an. Dès le début des discussions du Trilogue les quatre propositions mentionnées ci-dessus pourraient venir compléter le dispositif législatif en discussion pour aboutir au cadre équilibré souhaité par la Commission.
Thierry Langin
Président Association Française des Biotechnologies Végétales (AFBV)
Prof. Dr. Klaus-Dieter Jany
Vorsitzender
Wissenschaftlerkreis Genomik und Gentechnik e.V. (WGG)
Philippe Dumont
Membre du Conseil d’Administration, AFBV
L’AFBV et le WGG sont à la disposition de toutes les parties prenantes pour répondre aux questions que peut susciter cette note qui est un travail collectif, initié par Philippe Dumont à laquelle ont contribué : Franck Berger, Yvette Dattée, Klaus-Dieter Jany, Thierry Langin, Christian Leclerc et Pascual Perez.
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Références:
1 Proposal for a Regulation of the EP and the Council on plants obtained by certain new genomic techniques and their food and feed, and amending Regulation (EU) 2017/625
2 En avril 2024 l’AFBV avait publié une analyse des principaux avenants apportés par le PE à la Proposition de la Commission. https://www.biotechnologies-vegetales.com/commentaires-sur-les-amendements-au-projet-ngt-de-la-commission/
3 Également en avril 2024, dans le but de répondre aux préoccupations exprimées sur les questions soulevées par le PE touchant à la propriété intellectuelle (« PI »),L’AFBV a partagé sur son site web onze propositions nouvelles qui pourraient être prises en compte dans les recommandations qui suivront l’étude que va mener la Commission sur l’impact des brevets sur les plantes issues des NTG. https://www.biotechnologies-vegetales.com/propositions-pour-faciliter-lidentification-lacces-et-lutilisation-de-la-propriete-industrielle-liee-aux-nouvelles-technologies-genomiques/
4 Spanish Presidency compromise text. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/PDF/?uri=CONSIL:ST_16443_2023_INIT
5 Belgian Presidency Compromise proposal on the NGT Regulation, private copy
6 Proposal for a Regulation on the production and marketing of plant reproductive material in the Union https://food.ec.europa.eu/plants/plant-reproductive-material/legislation/future-eu-rules-plant-and-forest-reproductive-material_en
7 Amendments adopted by the European Parliament on 7 February 2024 on the NGT proposal https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0067_EN.html
8 Socioeconomic impact of low-gluten celiac-safe wheat developed by gene editing https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC131711
9 Comments from Romania beginning at p. 43: https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-12514-2024-ADD-1/en/pdf
10 Texte du Protocole de Carthagène: https://www.cbd.int/doc/legal/cartagena-protocol-en.pdf
11 Economic and environmental impacts of disease resistant crops developed with cisgenesis https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC131721
12 Scientific opinion on the ANSES analysis of Annex I of the EC proposal COM (2023) 411 (EFSA‐Q‐2024‐00178) https://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/8894
14 Directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=celex%3A31998L0044
16 Base de données de l’OCVV : https://cpvo.europa.eu/en/applications-and-examinations/cpvo-variety-finder
17 Règlement 2100/94/CE instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:31994R2100
18 Directive 2002/53/CE du Conseil du 13 juin 2002 concernant le catalogue commun des variétés des espèces de plantes agricoles https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=celex:32002L0053
19 Base de données PINTO mise en place par Euroseeds: https://euroseeds.eu/pinto-patent-information-and-transparency-on-line/
20 Base de données ILPV : International Licensing Platform-Vegetables – https://www.ilp-vegetable.org/
21 Voir l’avis de la Commission du 8 novembre 2016 : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52016XC1108(01)
22 Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet (AJUB) : https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2013:175:0001:0040:fr:PDF
23 Règle 28(2) de l’OEB : https://www.epo.org/fr/legal/epc/2020/r28.html. Voir aussi Ligne Directrice de l’OEB sur la clause d’exclusion (disclaimer) : paragraphe 5.4. Variétés végétales et races animales, procédés essentiellement biologiques d’obtention de végétaux ou d’animaux – https://www.epo.org/fr/legal/guidelines-epc/2023/g_ii_5_4.html
24 https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/qanda_23_3568
25 Accord Interinstitutionnel entre le PE, le Conseil de l’UE et la Commission européenne « Mieux Légiférer » du 13 avril 2016 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32016Q0512(01)